Rousseau, qui fut également copiste musical, rêvait de présenter l'univers des plantes avec le moins de mots possibles, en une sorte de pasigraphie végétale éloignée des longues descriptions "à la Linné". De cette même volonté d'économie sont nés les contrepoints herbacés enluminant les extraits des cinquième et septième promenades des "Rêveries d'un promeneur solitaire". Les mots de Rousseau font écho aux herbiers vivants d'Ariane Blanc-Quenon dont les planches inédites de ce blog offrent un aperçu. Cette partition à deux voix rend hommage à l'écrivain botaniste dont on fête en 2012 le tricentenaire de la naissance. Chaque nouvelle parution invite à la rêverie, quelque part entre Môtiers et Baulmes réunis pour la circonstance.

Mémoire

Blanc-Quenon ©
Je ne reverrai plus ces beaux paysages, ces forêts, ces lacs, ces bosquets, ces rochers, ces montagnes, dont l'aspect a toujours touché mon cœur: mais maintenant que je ne peux plus courir ces heureuses contrées je n'ai qu'à ouvrir mon herbier et bientôt il m'y transporte. Les fragments des plantes que j'y ai cueillies suffisent pour me rappeler tout ce magnifique spectacle. Septième promenade.

Paresse

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La botanique est l'étude d'un oisif et paresseux solitaire: une pointe et une loupe sont tout l'appareil dont il a besoin pour les observer. Il se promène, il erre librement d'un objet à l'autre, il fait la revue de chaque fleur avec intérêt et curiosité, et sitôt qu'il commence à saisir les lois de leur structure, il goûte à les observer un plaisir sans peine aussi vif que s'il lui en coûtait beaucoup. Il y a dans cette oiseuse occupation un charme qu'on ne sent que dans le plein calme des passions mais qui suffit seul alors pour rendre la vie heureuse et douce. Septième promenade.

La Robella

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Je me rappellerai toute ma vie une herborisation que je fis du côté de la Robella, montagne du justicier Clerc. J'étais seul, je m'enfonçai dans les anfractuosités de la montagne, et de bois en bois, de roche en roche, je parvins à un réduit si caché que je n'ai vu de ma vie un aspect plus sauvage. De noirs sapins entremêlés de hêtres prodigieux dont plusieurs tombés de vieillesse et entrelacés les uns dans les autres fermaient ce réduit de barrières impénétrables, quelques intervalles que laissait cette sombre enceinte n'offraient au-delà que des roches coupées à pic et d'horribles précipices que je n'osais regarder qu'en me couchant sur le ventre. Le duc, la chevêche et l'orfraie faisaient entendre leurs cris dans les fentes de la montagne, quelque petits oiseaux rares mais familiers tempéraient cependant l'horreur de cette solitude. Là je trouvai la Dentaire heptaphyllos, le Ciclamen, le Nidus avis, le grand Lacerpitium et quelques autres plantes qui me charmèrent et m'amusèrent longtemps. Septième promenade.

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Sous les ombrages

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Il me semble que sous les ombrages d'une forêt je suis oublié, libre et paisible comme si je n'avais plus d'ennemis. Septième promenade.

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